Sans aucun doute, si ce film a fait un box office record aux USA ($89,269,066 au premier week end de sortie), c’est qu’il s’adresse très directement aux américains, leurs valeurs et leur actualité. Tel un portrait de société, Clint Eastwood arrive encore à dépeindre un cadre et une réalité avec d’excellents acteurs. En effet, on retrouve cette façon de décrire une facette des USA à travers un quartier, au sein de familles américaines comme dans Gran Torino. Mais attention, adapter l’histoire vraie d’un « héros » de guerre présuppose quelques subtilités.
L’intervention des USA en 2003 en Irak est une cicatrice encore toute récente et toujours aussi polémique. Polémique, justement c’est le ton qu’ont adopté les derniers films qui ont abordé le sujet: “Mensonge d’Etat” de Ridley Scott, “Green Zone” avec Matt Damon, “Démineurs” de Kathryn Bigelow, ou “Zéro Dark Thirty” par exemple. Tous ont une approche très nuancée avec des personnages piégés dans le dilemme entre l’éthique et le mal nécessaire.
Ici, soyons honnête, la question n’est pas franchement abordée pour ne pas dire éludée. Nous sommes concentrés sur le personnage de Chris Kyle, texan patriote et voué à la cause. Ni loup, ni mouton, on ne sait pas trop où ce sniper se positionne. Peut-on être complètement détaché et appuyer aveuglement sur la gâchette?
Après plusieurs missions sur le terrain cela semble impossible. Bien sûr, la question fait surface dans une scène où le soldat hésite à abattre un enfant ramassant une rocket évoque cette question. Mais cela reste très lisse, sans réelle émotion, assez robotique. Est-ce le détachement tout le propos de Clint Eastwood? Franchement, ce n’est pas très limpide. Mais ce flou général est très dangereux pour un film militaire, où l’on peut vite se perdre dans un message patriotique, militariste et souvent simplifié… Sans mentionner les attaches politiques du réalisateur. Donc oui un malaise s’installe car le spectateur ne sait pas trop quoi penser entre le sacrifice de ces soldats et ce pourquoi ils mènent ce combat.
Cependant, le moment qui remet vraiment tout en cause, c’est la toute fin du film. Là où je n’étais pas bien sûre des intentions du réalisateur, le générique du film m’a amèrement fait comprendre qu’il s’agissait de mettre haut en couleurs l’uniforme mais surtout qu’il m’a obligé à célébrer un héros qui n’en est peut être pas un… American Sniper ou comment les accomplissements d’un individu sont utilisés à des fins patriotiques?
A l’instar du fond, la forme m’a laissée très perplexe. Nous sommes au coeur de l’action, plongés dans la réalité du terrain. Mais je n’étais pas pour autant bluffée. Bradley Cooper fait le job. Mais comme évoqué précédemment, son personnage manque sérieusement de nuances et tombe vite dans les extrêmes: le jeune premier, texan et vigoureux, la fierté du corps des armées avec tableau de chasse qui bat tous les records, un mari romantique et un père de famille chaleureux…. Et lui dans tout ça? Certes le regard des autres, le présente comme un héros, mais lui comment vit-il la situation? Selon ses convictions, il ne peut pas supporter rester au pays sans pouvoir protéger les autres… Ego ou inconscience, j’avoue que ce rôle devient un vrai rôle de composition tellement il est difficile d’y voir clair!
Donc la mise en scène des séquences de guerre; pas de souci. Clint Eastwood, avait déjà fait l’exercice avec “Lettres d’Iwo Jima” et “Mémoires de nos Pères” (beaucoup plus subtils et intelligents à mon goût). Mais pour les séquences lors du retour au pays, il y a quelques loupés, notamment CETTE scène du nourrisson que Bradley Cooper tient dans ses bras qui est vraiment WTF (c’est tellement flagrant que ça vous sort complètement du film) surtout lors d’une séquence conflictuelle assez intense.
Voyez la vidéo plutôt et les réactions…
Pour conclure, je ne suis pas très emballée par ce dernier Clint Eastwood, et croyez-moi ce n’est pas facile de le dire quand on est fan. Le dernier Clint “Jersey Boys” était d’ailleurs plutôt réussi. Après “Mémoires de nos Pères”, c’est difficile de dire qu’ils sont du même réalisateur. Pour la comparaison, “Du Sang et des Larmes” de Peter Berg qui traite du même sujet, rassemble très bien l’action, un angle nuancé et intéressant avec un jeu d’acteur et une mise en scène intenses. Tout ceci manque cruellement à American Sniper, surtout pour mériter un Oscar!