Introduction
Après avoir vu Interstellar, le dernier film de Christopher Nolan, on a écrit l’article du film mais nous ne voulions pas nous arrêter là (critique ici). Nous nous sommes dit que c’était l’occasion idéale pour faire une rétrospective sur ses films à travers une de ses thématiques fétiches.
Bien sûr, comme cette analyse est basée sur la filmographie du réalisateur, elle reprend des scènes, des personnages et des moments précis de ses films. On vous conseille donc vivement de voir les films avant pour ne pas être spoilés .
Pourquoi choisir le temps comme fil conducteur de cette analyse? Déjà, on peut constater qu’à travers les films de Christopher Nolan c’est un thème récurrent. Le temps est la colonne vertébrale des scénarios de Nolan. C’est cette variable qui va donner toute l’intensité dramatique du film. Dernièrement avec le film Interstellar, le temps prend une place majeure dans la course de Cooper (Matthew McConaughey) pour sauver l’humanité et dans l’espoir de revoir sa fille un jour.
Le temps est omniprésent même dans les éléments visuels: avez-vous remarqué un détail particulièrement frappant dans le dernier Interstellar? Non? Il traverse tous les espace-temps, accompagne les personnages du début à la fin: la navette Endurance! Nom déjà très évocateur, en regardant bien, vous verrez qu’elle a 12 compartiments comme les cadrans d’une montre, objet primordial du dénouement du film. Si ce n’est pas de l’obsession!
En effet, cette obsession se retrouve dans la structure du scénario, le montage et surtout dans les sous thématiques des personnages “nolanniens”.
Notre relation au temps est un thème universel, car Nolan, comme ses personnages et nous-mêmes, spectateurs, sommes mortels. Le temps fascine et terrifie l’Homme qui cherche à le comprendre et le maîtriser. Comme dit le Professeur Brand (Michael Caine) dans Interstellar, “je n’ai pas peur de la mort, mais du temps”.
Par conséquent, plusieurs sous thématiques sont toutes liées entre elles avec comme dénominateur commun le temps. Comme Murph le dit dans le film, le temps fait partie d’une équation, et c’est la variable clé. C’est comme si une équation complexe pouvait résumer notre existence du moins, celle des personnages “nolanniens”.
A partir de ce constat, on verra en quoi le temps est un outil et un thème qui forgent la filmographie de Christopher Nolan dans la tension dramatique de ses films, comme clé de construction de l’identité et comme révélateur de vérité.
Le Temps comme un Instrument Dramatique
Tout d’abord, Christopher Nolan utilise le temps comme un instrument qui maîtrise l’intensité dramatique de ses intrigues.
De manière très mécanique, le temps structure le scénario en termes d’unité de séquence comme l’introduction des personnages, la confrontation, la révélation etc…. une construction assez classique dans l’écriture d’un scénario. Mais là où on retrouve la vraie signature du réalisateur, c’est dans sa façon de manipuler le temps imparti afin de créer l’urgence et l’intensité dramatique. Les personnages principaux subissent une réelle pression car ils font face à des deadlines impossibles.
Inception, doit atteindre le plus profond de l’inconscient de Robert Fisher (Cillian Murphy) à travers plusieurs voyages, tous chronométrés à la minute près, sous peine d’être perdu dans les abysses. Inception est celui qui joue le plus avec ce mécanisme où dans chaque unité (niveau de rêve) le temps s’écoule à un rythme différent. De même, Interstellar se base sur cette même urgence qui oblige Cooper à réaliser sa mission avant l’extinction de l’espèce humaine et a fortiori la mort de ses enfants. Grâce à ces variations de rythme, le réalisateur installe un véritable compte à rebours infernal qui nous intrigue et fait en sorte qu’on reste accroché sur notre siège jusqu’à la fin du film. Tel un marionnettiste, il manipule le temps à son bon vouloir et définit ses propres règles du jeu. Il établit le champ d’action de ses personnages dans une échelle de temps variable et toujours trop courte qui menace forcément la réussite de la mission de ces derniers.
Autre élément fort de cette instrumentalisation du temps, c’est de pouvoir créer un intense sentiment de curiosité chez le spectateur. En effet, jouer avec le temps est une incroyable opportunité d’imaginer ce qui est à la base impossible. Être dans des situations assez fascinantes car elles sont totalement originales. Dans Insomnia, le réalisateur plante le décor dès le générique du film, comme si vous entriez dans un espace temps spécialement conçu pour son histoire. La perception du temps est complètement altérée: lorsque l’inspecteur Will Dormer (Al Pacino) vient intervenir dans une enquête dans une ville en Alaska, il ne fait jamais nuit à cette période là de l’année. D’ailleurs cette introduction du film avec les dernières minutes de vol de l’avion qui zigzague entre les montagnes, les lacs et la brume ne vous rappelle pas un autre film? Telle une menace, une atmosphère pesante où le personnage principal sera mis à rude épreuve, cela ressemble étrangement au long plan d’introduction du film « Shining ».
Chez Christopher Nolan, le temps est presque systématiquement un moyen de déstructurer l’espace-temps de ses personnages principaux et lui permet donc d’en accentuer l’enjeu de leur mission. Mais quand bien même la possibilité de réaliser cette mission devient primordiale, ce sont les motivations des personnages qui sont d’autant plus révélées par les variances de temporalité.