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Le Temps comme Construction de l’Identité
C’est vrai, pourquoi cette urgence? pourquoi est-il vital pour les personnages nolanniens de réaliser leur quête? Quelles sont leurs profondes motivations? Le temps qu’ils leur est accordé c’est un temps dont ils disposent pour se (re)trouver, définir qui ils sont pour eux-mêmes et dans la société et ainsi pouvoir se réaliser. En effet, le temps est l’intervalle d’existence qui nous permet de devenir qui on est. Ce sont les évènements que l’on vit qui nous définissent, qui nous confrontent à des choix déterminants dans la construction de soi. Serais-je un meilleur père si je pouvais revenir en arrière? Plongé dans la cinquième dimension, derrière l’armoire de sa fille, le pilote Cooper, choisit cette fois-ci de rester au lieu de partir. Mais est-ce trop tard? Serait-il la même personne s’il avait choisi autrement? Mais comme le précise Docteur Brand (Anne Hathaway) la seule certitude que l’on a sur la physique quantique, c’est que nous ne pouvons pas faire machine arrière.
Cette question tourmente profondément les personnages de Nolan, qui cherchent à savoir qui ils sont ou plutôt qui ils aimeraient être dans un espace temps défini. Comme le dit l’expression « seul le temps nous le dira! ». Le temps d’avoir une seconde chance est une problématique commune chez les personnages nolanniens. Opportunité ou menace, ces personnages sont souvent dans une telle situation, qu’ils sont dos au mur et doivent tout tenter quoiqu’il advienne. En effet, Cobb doit réutiliser l’Inception s’il veut revoir ses enfants, Will Dormer doit aller en Alaska reprendre cette affaire car son intégrité est remise en cause par les affaires internes à Los Angeles, Leonard (Guy Pearce) doit absolument retrouver la mémoire pour venger sa femme.
Justement, Memento est l’illustration parfaite de ce profond dilemme entre ce que l’on est et ce que l’on aimerait être. Puisque le temps définit notre existence, que ce passe t- il lorsqu’on efface la mémoire d’un homme, est-ce qu’il reste le même? Amnésique, Leonard oublie les évènements récents. C’est comme s’il reniait le temps qui s’écoule ne sachant plus s’il est véritablement devenu un tueur. Perdu, il cherche désespérément à faire le lien entre le passé et le présent pour déterminer son identité.
Le temps est donc une variable clé dans la quête d’identité des personnages de Nolan. Caractéristique chez ces derniers, il y a toujours un voyage physique (hors de leur zone de confort) et introspectif important. Ce sont principalement des personnages masculins qui sont perdus, bloqués, déçus de ne pas être devenus ceux qu’ils auraient voulu être. Dans Following, Bill (Jeremy Theobald) est un écrivain, un peu bohème, qui rêve de gloire et de reconnaissance. Or, loin de tout cela, il ère dans les rues, déambule à suivre des inconnus, comme si il n’avait pas sa place dans la société.
Bruce Wayne (Christian Bale) va rejeter en bloc l’image du jeune héritier arrogant et dépensier mais avec de profondes angoisses pour devenir le chevalier noir, seul dans sa lutte, voué à être détesté et craint de tous, à poursuivre sa mission seul. Ces personnages sont donc forcément condamnés à une profonde solitude.
Retrouver l’estime de soi est un enjeu clé qui motive les personnages principaux. Ce regard est souvent endossé et accentué par les personnages féminins qui leur renvoient directement leur propre image. Par exemple, le regard d’une femme sur son mari avec Cobb et Mal (Marion Cotillard). Ou le regard d’une fille sur son père avec Murph et Cooper ou le Professeur Brand et sa fille. Ce sont des échecs ou des choix terribles qui traumatisent ces personnages. L’échec de l’inception faite sur Mal qui la pousse au suicide, ou la déception de Murph de voir son père partir. De même dans Insomnia où pleine d’admiration au début, Ellie (Hilary Swank) déchante rapidement en observant les méthodes douteuses de Dormer. C’est son regard et le fait qu’elle représente pureté & intégrité qui pousse Dormer à se sacrifier. Ce regard négatif les hante, dans leurs souvenirs, leurs rêves et leur réalité. Cela déclenche alors un cheminement décisif dans la prise de décisions de ces personnages masculins. En effet, le regard que portent ces femmes, les mettent au défi de devenir meilleur. Comme des oracles, elles les guident ou les hantent, mais les accompagnent à travers les différentes étapes de leur reconstruction. Dans cette quête, il existe donc une certaine violence dans ce que traversent les personnages nolanniens. Ces personnages masculins virils et d’apparence solide, sont au bord du gouffre, dépressifs -Leonard & Cobb-, en pleurs – Cooper qui regarde les vidéos de ses enfants – ou poussés dans leurs retranchements -Bruce qui doit escalader sans la corde -. Cette descente aux enfers est systématique chez chaque personnage nolannien, étape essentielle avant de se réaliser soi-même pour se racheter ou défendre des idéaux.
En effet, le temps devient l’opportunité pour eux de se pardonner. Le souci du pardon est intimement lié à notre condition de mortel, à l’image posthume de nous-mêmes qui perdurera après la mort. Comme l’a compris la femme de Cooper, les parents ne sont que des souvenirs aux yeux de leurs enfants. Vu que le temps de Cooper est compté, quelle image va t-il laisser derrière lui, quelles valeurs va t-il pouvoir transmettre? Pareil dans Inception. Afin de revoir ses enfants, Cobb doit pardonner ses erreurs et la mort tragique de sa femme avant de les rejoindre.
De plus, lutter pour défendre des idéaux se confronte forcement à l’idée de temporalité. la justice par exemple, est une idée intemporelle dans l’esprit de chacun et l’idéal d’une société. Ce sont les gens qui la défendent, qui eux, ne sont pas éternels et ne seront pas toujours présents pour agir en son nom. Cette problématique est coeur du dernier Batman The Dark Night Rises. Batman, n’est qu’un costume, un symbole, un héros nécessaire pour le maintien d’une société, mais Bruce Wayne lui, n’est pas immortel.
La temporalité joue alors un rôle essentiel dans la réalisation des personnages dans leur quête d’identité, de pardon et d’idéal. Face à l’ultimatum de leur propre mort, vivant à l’écart de la société, ne se portant pas très haut dans leur estime, les personnages nolanniens sont face à des dilemmes et soulèvent alors de nombreuses questions existentielles assez universelles. Mais est-ce pour autant que l’on obtient des réponses? Des clés de l’équation assez satisfaisantes? Est-ce que ces questions intriguent le spectateur seulement le temps du film?
Ultime carte du réalisateur ou tour de passe-passe de génie, Christopher Nolan s’appuie sur le temps comme référent, variable clé de l’équation, comme gardien de la vérité.