Paris, lundi de Pâques, mieux que les chocolats, nous avons rendez vous avec Ryan Gosling et Reda Kateb au cinéma Elysées Biarritz pour une projection en avant-première de Lost River, le premier film de Ryan suivi de sa Masterclass.
Le film finit en nous laissant perplexes. Nous sommes pas mécontents que Ryan vienne éclaircir tout ça…
Après quelques minutes d’attente (Ryan étant retardé à cause du tournage du Grand Journal! et oui c’est une promo marathon pour ce film…), Ryan et Reda font leur entrée.
#lastmonday
Posted by Movie Guide Me on dimanche 12 avril 2015
C’est parti pour une Masterclass d’environ 45 minutes !
Pour commencer, Comment vous est venue l’idée de faire ce film ? Quel a été le processus créatif ?
Ryan Gosling : J’avais une idée très romantique de l’Amérique surtout que j’ai grandi à coté de Détroit, qui la ville berceau du Motown, et de l’American dream. Quand j’ai découvert Detroit plus tard, j’ai été très surpris, car l’image que j’en avais ne correspondait pas du tout à la réalite. Parfois on parcourait 70 km sur des terres où il n’y avait rien mais des familles qui s’accrochaient à leur maison, qui souvent été détruites, brûlées, le rêve américain était devenu un cauchemar pour ces familles là.
J’ai voulu montrer ce que Détroit était aujourd’hui. Un an avant de tourner le film, j’ai acheté une caméra et je me suis rendu souvent dans cette ville. Les images que j’ai prise m’ont servi à la fois pour l’écriture du film et pour le style du film plus tard. Ce processus artistique a été extrêmement graduel et organique.
Les personnages du film ont des noms un peu comme dans les contes des Frères Grimm, ils s’appellent « Rat », « Méchant » c’est typique du conte de fée. Il y a même Johnny Jewel (le compositeur du film, ndlr) qui chante à un moment “Big bad wolf” , le grand méchant loup, et la ville de Détroit sur laquelle il y a une malédiction qui est un peu comme une demoiselle en détresse. Pourquoi avoir choisi une structure de conte de fée pour parler de ces rêves détruits?
Ryan Gosling : Lorsque vous vous promenez dans ces quartiers il y a quelque chose de très surréaliste, car vous voyez des familles entières et on a l’impression qu’ils se sentent eux-mêmes comme les derniers habitants sur cette Terre. Il y a une impression de Twilight zone, de 4ème dimension, on se retrouve comme dans un conte de fée sombre. On a presque du mal à se dire que ce que l’on voit existe réellement. Je ne voulais pas faire un film qui soit spécifique à Detroit, je voulais que le public du monde entier comprennent l’émotion que j’ai ressenti et vu là-bas. Il ne s’agit donc pas d’une vision économique de Détroit mais plutôt du point de vue de deux adolescents qui grandissent là et qui on besoin pour grandir d’une idée romantique. Il se disent que si ils vivent comme cela c’est un cause d’un mauvais sort qui peut être levé et ça leur donne de l’espoir. Ce film c’est le regard de deux adolescents qui croient être dans un conte de fée.
Reda Kateb: La manière dont le film s’est tourné à Détroit m’a beaucoup plu. Il y a une manière d’arriver dans une ville et y tourner un film. On peut venir superposer une réalité de fiction sur un endroit ou faire comme avec ce film c’est à dire dans l’échange avec les habitants de cette ville. Ils étaient touchés que l’on fasse un film dans leur ville et la manière dont cela se passait. On a tourné une scène dans une station service et quelqu’un passait par là et on l’invité à rejoindre l’action et rentrer dans le champ et cela doit se voir dans le film. C’est comme ça qu on fait du cinéma dans ce type d’endroit.
Reda, dans ce conte de fée, vous êtes le prince charmant, à la place d’avoir un cheval blanc vous avez un taxi. Comment avez-vous appréhender ce rôle si subtil, si silencieux et si essentiel car vous êtes le sauveur, le prince?
Reda Kateb: On n’a pas parlé de sauveur ou de prince. J’ai rencontré Ryan et son équipe avant le tournage et on a tous parlé du personnage qui fait corps avec son taxi qui est comme un lieu protecteur, dans un endroit dans lequel règne le chaos. Quand Christina Hendricks rentre dans le taxi, il y a une espèce de bulle chaleureuse et intime avec un homme qui n’est pas là ni pour la dévorer comme les autres hommes dans le film, ni pour prendre quelque chose d’elle, ni pour la séduire. Il est une espèce d’homme désintéressé et de chevalier servant. Quand on lit le scénario, il y a ce qui est écrit et il y a ensuite tout le travail du metteur en scène avant de tourner et c’est cette matière là qui nous sert après à raconter un personnage…
Les personnes présentes; blogueurs et membres de la presse, étaient invités à poser leur question.
L’endroit où Christina Hendricks travaille dans le film fait penser au Grand Guignol (Endroit parisien du fin XIX début XXème spécialisée dans les pièces mettant en scène des histoires macabres et sanguinolentes ndlr), pourquoi avez-vous utilisé cette référence dans le film et où en avez-vous entendu parler?
Ryan Gosling : Je me suis effectivement inspiré du Grand Guignol ou d’autres lieux comme le Hell Café et le DeathTavern. La façade du club où travaille Christina Hendricks est celle du Hell Café. A Detroit et souvent dans ces lieux là où les gens ont vécu un désastre, on s’aperçoit qu’il y a des personnages qui aiment graviter et donner libre court à leur part la plus sombre. On trouve dans ces endroits, de tels lieux où on peut s’adonner à ses instincts les plus bas car justement personne ne regarde. J’ai voulu intégrer cette dimension, cette noirceur, la faire aussi remonter à la surface, l’intégrer à la structure du conte féerique. C’est comme cela que j’ai découvert ces endroits en faisant des recherches pour ce film.
La façade du Hell Café (café de l’enfer) situé fin XIXème/mi XXème siècle à Pigalle et une affiche du théâtre du Grand Guignol.
Ryan, qu’est ce qui vous donné envie de passer à la réalisation ? Reda qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans le film de Ryan?
Ryan Gosling : Je l’ai fait pour la sécurité de l’emploi (rires). Je suis toujours sur de pouvoir travailler car je peux toujours m’engager moi-même en tant qu’acteur. Plus sérieusement, je n’ai pas vraiment choisi de devenir réalisateur. Lorsque je suis allée à Detroit, j’ai vu ces familles. J’ai ressenti une forme d’urgence et d’obligation pour moi de montrer cela, d’en témoigner. Vous savez quand on voit des immeubles historiques détruits lorsque l’on se promène dans ces quartiers, il y a un sentiment étrange de se perdre dans une réalité singulière. Plus je passais du temps dans les rues de Détroit, plus j’avais mal au cœur, il y avait là quelque chose d’universel comme thème et il y avait quelque chose de très beau dans ces familles qui au lieu de partir, choisissaient de rester.
(Le chien de Reda, Paulo débarque sur scène ! un chien très sage qui finit sur les genoux de Ryan !)
Reda Kateb: J’ai aimé le scénario! J’ai d’ailleurs été étonné de recevoir le scénario et qu’il sache qui j’étais! (rires) J’avais beaucoup d’admiration pour lui en tant qu’acteur et je sentais que c’était quelqu’un qui avait un univers artistique qui dépassait l’image qu’il pouvait en faire. Je savais qu’il était plus que juste un acteur qui faisait des films, j’avais écouté sa musique et dans ces cas là, on espère que le scénario va être bien sinon c’est “encombrant”. J’ai adoré le scénario d’un conte noir qui s’inscrit dans le réel. Il n’y avait pas beaucoup de lignes de dialogues mais je savais qu’il donnait sa chance à chaque personnage. Le plus compliqué a été d’avoir le visa pour pouvoir aller travailler aux USA (rires).
Ryan, on voit des références à David Lynch, De Palma, Kubrick avec le club qui fait penser à l’atmosphère d' »Eyes Wide Shut ». Quelles ont été vos inspirations?
Ryan Gosling : Pour mon film, j’avais surtout en tête les « Goonies », le film de Richard Donner. Quand j’ai envoyé mon scénario pour la première fois à Johnny Jewel (le compositeur du film ndlr), il m’a envoye un texto en disant « cool c’est un dark goonies », c’est un peu la référence que j’ai utilisé dans mon film. J’ai également été inspiré par les films des années 80 qui m’ont nourri quand j’étais jeune comme les films Amblin (les films produits par Steven Spielberg ndlr), ou le secret de Nimh. J’avais envie de revisiter le thème de la famille menacée, qu’il y ait la possibilité d’une issue mystique ou en tout cas poétique. J’ai voulu filmé ma version de cela.
Reda, il y a une phrase dans le film où vous dites que vous avez été déçu par le « rêve américain ». Quel sentiment avez-vous eu après votre découverte des USA?
(La question nous parait pas terrible et assez clichée d’autant plus que Reda a une carrière de plus en plus internationale…)
Reda Kateb: Enfant, j’ai peut être été marqué par cette idée du rêve américain sinon j’ai plutôt le rêve du cinéma. Aux USA, il y a 1000 formes de cinéma qui se font et beaucoup de films indépendants. J’ai plus joué dans des films indépendants que dans des gros films hollywoodiens. Mais cette phrase dans le film, c’est une chose qui est venue en improvisant. On a roulé, on a pris le temps de laisser venir les choses. C’est en réalité des immigrés d’Algérie qui m’ont raconté qu’ils avaient cette image de le France avant de venir. Donc cela peut se transposer. L’idée de ce personnage d’exilé c’est qu’il aurait pu venir de n’importe où et se retrouver dans n’importe quel endroit. Il se trouve qu’il est à Detroit. C’est ce grand malentendu qui est de penser que cela sera toujours plus facile ailleurs. Cela a a été nourri par les rencontres avec les gens de Detroit. Je me souviens avoir pris un taxi avec un homme africain qui me racontait ces choses là. Ce qui était bien avec Ryan c’est qu’il avait de la place pour faire de l’impro, du blabla, de chercher ensemble à inventer des choses et de se sentir à la fois libre mais guidé. C’est simple mais c’est très rare.
Ryan, le montage est différent de celui projeté à Cannes et celui que l’on vient de voir, pourquoi l’avoir changé?
Ryan Gosling : En fait, dans le premier montage initial, il y avait des scènes qui s’accompagnaient de morceaux musicaux. Je croyais à tort qu’ils étaient libres de droit. J’ai du retiré ces scènes car je les avais vraiment filmé avec la musique intégrée et je ne pouvais pas les remplacer comme ça. J’ai fait des essais avec d’autres musiques mais cela ne fonctionnait pas. J’ai donc préféré les retirer.
Le film a une dimension à lisière du fantastique de l’onirique, était-ce un choix dès le départ de partir sur ce type de cinéma ?
Ryan Gosling : C’est parti de cette famille qui voulait absolument s’accrocher à son rêve quand dehors c’était le chaos et le cauchemar. Je voulais traduire ça dans mon film en montrant que tout devait avoir l’apparence d’un rêve car c’était la façon dont ces gens là vivaient. Le film est sans arrêt sur cette ligne fine entre la réalité et le monde du fantastique, je voulais en même temps ancré ce rêve dans une réalité. A ce propos, une de mes scènes préférées, c’est celle de la station service où nous avons intégré des locaux. C’était la seule station service sur des kilomètres, elle était là au milieu de nulle part. On sentait une tension qui montait car en fait dans cette station service se vendait probablement quelque chose d’autre que de l’essence …On a senti que tout pouvait arriver…donc on a décidé de laisser apparaître dans le film. Les acteurs sont très bons car ils ont réussi à faire entrer ces « locaux » dans l’univers du film. On savait qu’il y avait une sorte de danger car on ne savait pas de quoi ils étaient capables, ce qui était sur c’est qu’ils étaient charismatiques. C’est comme cela que notre film s’est crée une vraie identité.
(Un autre film où on a fait appel des acteurs locaux (cette fois-ci engagés par la production) et de manière très juste : Joe de David Gordon Green.)
Reda, comment s’est passe votre expérience dans le cinéma américain indépendant, est-ce différent du cinéma indépendant français?
Reda Kateb : Je trouve qu il y a plein de manières de faire du cinéma en France ou aux USA ou dans d’autres pays que je ne connais pas. Et il y plein de manières de faire du cinéma indépendant. Ma préférée, c’est celle-là, c’est d’aller dans des lieux et raconter nos histoires avec les gens qui nous entourent, avec les endroits qu’on traverse. Je l’ai trouvé complètement sur Lost River mais je serais totalement incapable de faire des généralités sur le cinéma indépendant si ce n’est qu’il y a une liberté.
Ryan, quel regard portez vous sur le cinéma américain et est-ce important pour vos de le defendre à travers ce film?
Ryan Gosling : J’aime beaucoup le cinéma indépendant car j’y ai toujours eu des expériences formidables. Je me souviens d’un de mes premiers films « Danny Balint » où j’interprétais un juif nazi. J’avais 19 ans, c’était un film indépendant sur un sujet difficile et étrange. C’était un vrai défi! On savait que ça n’allait pas être un film grand public mais on s’est battu. Nous sommes allées dans des festivals chercher le public. J’ai tourné dans des plus gros films par la suite mais ça n’a jamais été aussi fort que cette expérience là . Peut-être parce qu’on a toujours envie de revenir à ses fondamentaux. Dans cet esprit de cinéma indépendant et même de film d’étudiant, j’ai voulu expérimenter, c’est ça que j’adore dans ce cinéma.
Reda, que pensez-vous de la direction d’acteurs de Ryan?
Reda Kateb : Ryan m’a dit : « Diriger c’est aussi être acteur, on faisait semblant que tout se passait bien toujours alors qu’il y avait toujours un problème à gérer ». Il avait l’air détendu et il communiquait une énergie positive aux acteurs et à l’équipe technique. Je crois qu’en tant qu’acteur, on joue mieux quand atmosphère est propice et plutôt que d’être un marionnettiste qui est à distance de vous, il est actif physiquement comme un acteur, il cherche avec vous les choses. Et en même temps, il vous laisse les créer. J’ai essayé de recréer ça en dirigeant récemment mon premier court métrage. Cela m’avait marqué chez lui. J’ai essayé de travailler avec les gens, de les guider mais en leur donnant beaucoup de libertés et surtout que les gens aient du plaisir à être là et ça compte aussi.
Ryan, d’où vient cette légende dont vous parlez dans le film?
Ryan Gosling : Quand j’étais enfant, je me suis rendu compte que la rivière à proximité de la ville où j’habitais, avait été construite en engloutissant plusieurs villages. Sans le savoir, je me baignais dans un lac où sous mes pieds, il y avait des ruines de villes englouties. Cela m’avait beaucoup choqué à l’époque et je me souviens que je ne voulais plus prendre de bain pendant très longtemps car l’eau venait de cette rivière . Quand j’ai commencé à filmer Detroit et à filmer cette « Lost River » , inconsciemment ce village de mon enfance est remontée à la surface et s’est retrouvé juxtaposer avec Detroit dans mon esprit. Comme des images d’épave du Titanic…